Et si on montait sur le toit de la base sous-marine ?

par | 23 Juin 2015 | Tasse de thé culturelle | 0 commentaires

Qui n’a pas rêvé, contemplant l’escalier métallique en colimaçon accroché au mur de béton de ce mastodonte que représente la base sous-marine de Bordeaux, d’aller faire un tour sur ses toits. Car du parking, on aperçoit déjà quelques branches d’arbres, des herbes folles, une promesse de nature à l’état sauvage.

Et bien, c’est possible depuis le 6 juin et jusqu’au 14 juillet inclus. Pour 4 euros, à condition d’acheter ses billets à l’avance auprès du Kiosque culture (sur les allées de Tourny, près du Grand-Théâtre) ou directement à la base sous-marine et d’être majeur, on peut s’offrir une promenade guidée de 45 mn, spectacle et émotion garantis.

C’est ce que j’ai fait le 11 juin dernier, accompagnée de 17 autres personnes (groupe de 18 maximum). Le temps était à l’orage et la lumière n’en était que plus belle. Ponctuels, nous nous sommes regroupés autour de notre guide Elsa, à l’accueil de la base.

Après être passés par une porte dérobée, nous avons monté une volée de marches nous menant à une petite salle où nous nous coiffons de casques de chantier. C’est à partir de là que nous empruntons le fameux escalier en colimaçon qui mène directement sur le toit, à flanc de mur, avec vue terrible sur tout le quartier !

Nous déambulons ensuite sous des traverses en béton qui laissent passer la lumière et se reflètent dans l’eau, comme des jeux de lumières scénarisés. Sur un support peu propice à culture, de la mousse, des petites plantes et même des arbres ont trouvé racine dans des interstices improbables. Photographes, à vos appareils !

L’histoire d’un mastodonte de béton

En préambule de la visite, Elsa nous fait un petit historique du lieu, et je vais en profiter ici pour le compléter avec des éléments récupérés sur le site « In Situ : revue des patrimoines ». L’occasion de faire ainsi un état de cette base sous-marine qui possède de toute évidence un potentiel magnifique pour un centre culturel, mais dont la gestion et le financement restent néanmoins problématiques.

La base sous-marine de Bordeaux est une des cinq bases (avec Brest, Lorient, Saint-Nazaire et La Rochelle) construites en France par les Allemands, au cours de la Seconde Guerre mondiale. Débutés en septembre 1941, plus tard que dans les autres villes, les travaux n’arrivèrent pas tout à fait à leur terme. Gigantesque abri bétonné destiné à la protection des sous-marins italo-allemands, elle devait être, selon Adolf Hitler, assez solide pour durer 1 000 ans.

Implantée à l’emplacement d’un réservoir d’alimentation d’eau, elle est stabilisée par 3 000 poutres en béton armé enfoncées dans le sol marécageux.

Quelques chiffres : 600 000 m3 de béton, 6 500 ouvriers pour 19 mois de travaux, 45 000 m2, 235 m de long, 160 m de large et 19 m de haut ! Elle peut accueillir 15 sous-marins.

La constitution du toit de la base de Bordeaux est différente de celle des quatre autres. En effet, pour protéger l’édifice des bombardements, deux dalles de béton d’une épaisseur totale de 5,60 m ont été coulées, complétées par une troisième structure de type Fangrost, constituées de traverses arrondies posées sur des piliers de bétons et destinée à déclencher, au premier contact, l’explosion des bombes avant qu’elles n’atteignent le toit. C’est cet espace, peu à peu colonisé par la végétation, que nous venons visiter.

Trois autres bunkers qui se trouvaient à proximité. Au nord, la soute à torpille (détruite à la Libération) et la citerne à fioul (conservée) reliées par un réseau ferré et un oléoduc souterrain au U-Bunker. Au sud-est, une écluse couverte (également détruite) afin de protéger l’écoulement des eaux et l’accès des sous-marins aux bassins à flot.

Malgré les nombreuses attaques aériennes, la base n’est que faiblement dégradée. Les gros impacts que l’on peut voir à l’intérieur, comme un rail fiché dans le mur, près des bassins d’entrée, sont dus au sabordement par les Allemands eux-mêmes qui ont voulu détruire leurs sous-marins avant la débâcle. En 1945, la Marine Nationale la confie au Port Autonome de Bordeaux.

Un objet d’inspiration pour les artistes

Délaissée, elle est fréquentée par les ferrailleurs et quelques jeunes qui en font leur terrain de jeu jusque dans les années 60 où elle commence à inspirer des artistes : 1964, Jean Cayrol y situe la scène finale de son film « Le Coup de grâce », 1978, Serge Lafosse la transforme en scène de théâtre pour la 14ème édition de Sigma et 1980, le peintre et sculpteur Sarkis y expose.

Puis en 1982, les entrées sont murées et son accès interdit au public pour des raisons de sécurité. Il a même, un moment, été envisagé de la détruire, avant de vite se rendre compte qu’elle était pratiquement indestructible.

Cette même année, Francis Martin, un étudiant en architecture propose un vaste projet d’aménagement  constitué d’un port de plaisance, d’une cité sur pilotis, d’équipements liés au commerce et au tourisme, de logements et d’ateliers sur les pourtours des bassins à flot, avec une base sous marine transformée en un écomusée de la mer. Un projet avant-gardiste, mais visionnaire !

En 1988, Philippe Lamarque et Denis Lacroix envisagent d’y installer un espace dédié à la promotion du vin de Bordeaux, Vinopolis… Décidément on n’a rien inventé !

Le réveil des années 90

Ce n’est qu’en 1990 que l’intérêt pour ce lieu atypique commence à émerger. Daniel Charles et Jean-Bertrand Mothes Massé aidés par la municipalité de Bordeaux, y installent le Conservatoire International de la Plaisance de Bordeaux et exposent des pièces majeures de l’histoire du nautisme avec, notamment, une reconstitution du plus ancien catamaran européen, le Simon and Jude (1662), les plus vieux canots d’aviron (1860) et voiliers de régate (1892), le prototype Ville-de-Paris de Marc Pajot engagé lors de l’America’s Cup, l’Hérétique d’Alain Bombard, ou encore le premier voilier à atteindre en 1980 les 36 nœuds, le Crossbow 2. Mais il ferme en 1997, par manque de fréquentation.

Dès 1996, Jean-François Buisson, sculpteur et batteur du groupe de métal bordelais, Spina installe un studio d’enregistrement et un atelier de sculpture, dans l’alvéole 9 de la base. Le 27 septembre 1997 a lieu le concert du groupe Spina avec plus de 1 000 personnes.

La première grande exposition d’art contemporain « Sous le béton la plage » réalisée par l’association Art Attacks et présidée par Thierry Barrera, en septembre 1998, marque le départ de travaux de réhabilitation et de mise en conformité afin de pouvoir recevoir du public sur un espace de 12 000 m2 dédiés aux expositions.

Depuis l’été 1999, elle affiche une programmation régulière axée sur la production artistique contemporaine. Avec une toute première intervention sur les toits par la photographe Isabelle Kraiser et le plasticien Patrick Marty.

Le règne de Danièle Martinez

En septembre 2000, Danièle Martinez est nommée directrice de la Base sous-marine. Elle va savoir lui donner un formidable coup de projecteur tant par le choix des artistes exposés qu’elle choisit en fonction de leur adaptabilité à l’architecture, que par son véritable don pour la mise en scène, et attire peu à peu le public vers ce nouvel espace culturel. L’entrée se fait par la base, tandis que les expositions se font dans l’Annexe qui a été réhabilitée.

Grâce à une programmation constante et originale, le succès est au rendez-vous avec des expositions, des représentations de théâtre, des projections cinématographiques, des spectacles de danse ou des concerts. La fréquentation est passée de 15 000 visiteurs il y a une dizaine d’années, à 110 000 cette année, un record.

Quel avenir pour la base ?

Aujourd’hui qu’elle se situe au beau milieu du programme de restructuration des bassins à flot, sa qualification est un sujet de discussion. Pour autant, un programme complet de réhabilitation demande un budget que la ville n’a pas. Jugeote a contacté l’adjoint à la culture, Fabien Robert, pour en savoir plus :

Jugeote : Est-ce que l’on peut envisager la pérennité de ces visites ?

Fabien Robert : Aujourd’hui, la visite sur les toits représente un geste artistique accompagnant l’exposition temporaire « Le Jardin dévoilé de la Base sous-marine »* des photographes François Sagnes, Sabine Delcour, Jean-Claude Princiaux, Anthony Rojo et Zigor. Mais nous n’envisageons pas pour le moment de le prolonger. Les quelques aménagements du toit, en vue de ces visites, a déjà demandé beaucoup de travail. Il a fallu faire venir une grue pour transporter palettes, barrières car tout cela ne passait pas dans l’escalier en colimaçon.

Jugeote : Quel est l’avenir de la base ?

Fabien Robert : La directrice Danièle Martinez prend sa retraite à la fin de l’année et nous rencontrons des projets plus que des personnes pour la remplacer. La ville de Bordeaux réamorce une réflexion sur la base sous-marine qui appartient encore au Port autonome. La ville, qui s’en occupe déjà beaucoup, voudrait l’acquérir pour un euro symbolique.

Nous avons la volonté qu’elle perdure comme un lieu culturel et d’exposition et nous avons déjà eu deux réunions de travail à ce sujet. La commission de sécurité a confirmé qu’elle était aux normes d’accueil du public.

Dans l’avenir nous souhaiterions utiliser d’autres parties de la base, comme les alvéoles, les toits ainsi que le toit de l’annexe. Mais il ne faut pas se faire piéger par ces fantasmes. Un devis précédemment fait, estimait les travaux de rénovation à un minimum de 30 millions d’euros !

Danièle Martinez aime à dire que la base est «une ruine du XXème siècle ». Il faut la considérer comme telle, accepter de peut-être la laisser dans cet état et donc de ne pouvoir l’investir complètement, comme on pourrait avoir envie de le faire.

Nous cherchons la possibilité d’y proposer des activités culturelles, économiques ou culturelles et économiques et nous envisageons pour cela un financement public, mais également privé.

*Sans oublier l’installation végétale réalisée, le temps des visites sur le toit de la base, par l’association Nature et Potager en Ville.

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