Bordeaux 2020 : Petit essai de psychologie territoriale du FLBP aka Front de Libération Bordeluche face au Parisianisme

par | 30 Oct 2019 | Mode de ville | 3 commentaires

En mars 2018, Charles Dos Santos, un ami journaliste lillois vivant à Montpellier (je précise pour montrer le grand écart culturel et météorologique qu’il a effectué dans sa vie de Chti), avait rédigé, à l’orée des élections municipales de 2020, sa vision de Bordeaux dans un article titré : Mais que va devenir Bordeaux, la belle Ex-Endormie ? 

Depuis, on le sait, la ville a connu un coup de théâtre retentissant avec le départ précipité de son emblématique maire, Alain Juppé, mettant un terme à 25 ans (même si entrecoupés) de mandature. Et laissant nombre de Bordelais sidérés et la larme à l’oeil. Les autres défilant dans la rue avec un gilet jaune ou cherchant un loyer à la mesure de leurs moyens, voire transpirant et en quête d’une ombre, rare dans l’espace minéral de la capitale aquitaine, pour se protéger de la canicule.

Bordeaux, ma ville en mutation

Dès lors, les cartes ont été rebattues avec un nouveau maire intérimaire, Nicolas Florian, et une équipe municipale recomposée.

Il y a quelques jours, alors que le gong de la campagne électorale des municipales vient de retentir, et tandis que Le Point sortait un numéro sur Le Bordeaux après Juppé que mon chat Clifton s’est empressé de lire (quand moi-même je ne l’ai toujours pas fait), je suis tombée, sur mon fil d’actu FB, sur un post du Front de Libération Bordeluche face au Parisianisme.

Quand Le Point fait le point sur Bordeaux

Exit Alain Juppé, et après ?

Le Front de Libération Bordeluche face au Parisianisme… et aux nombreux défis de Burdigala

Le FLBP pour les intimes. Une page FB et un compte Twitter qui cartonnent, créés en 2017 par deux trublions trentenaires, respectivement, urbaniste et avocat, (d’où un style élaboré et une plume cultivée, même si décalée, débridée, décomplexée et parfois vitriolée, mais toujours informée et pleine d’humour) qui ne supportaient plus « le concert de louanges qui mettait Bordeaux au top de tous les classements« , attirant ainsi les 3/4 des cadres parisiens… D’où le nom choisi par Vincent Bart et Vincent Poudampa, qui ont depuis élargi la cible de leur punchlines.

Les deux Vincent, qui, s’ils n’ont pas d’ambitions politiciennes, se font fort d’être, non seulement une voix dissonante pour dénoncer la muséification, le miroir aux alouettes que tend une ville artificielle de plus en plus saturée et inégalitaire, mais aussi force de proposition dans la vie de la cité.

Signé le Front de Libération Bordeluche

Tintin et Milou galèrent aux Bassins à Flots

J’ai eu envie de partager avec vous, via leur long post, l’histoire résumée de Bordeaux, leurs analyses et leurs inquiétudes à son sujet, avec un ton pour une fois plus sérieux que d’habitude, à la limite de l’émotion.

En effet, si nous n’y prenons pas garde, le réveil de l’ex Belle-Endormie pourrait bien déboucher sur un sinistre cauchemar collectif, qui, pour certains, a déjà commencé.

Bordeaux sur le divan du FLBP, le temps d’une tribune libre

Bordeaux est comme un enfant gâté mais pas assez aimé, et a grand besoin d’une psychothérapie collective. Petit essai de psychologie territoriale.

Il était une fois une ville du sud-ouest français, que la nature avait doté de formidables atouts : deux fleuves, un port abrité, un littoral sableux pas loin, du sol propice aux grands vins, un climat tempéré à la fois ensoleillé et humide… Bordeaux avait tout pour réussir et les Romains l’avaient déjà compris.
Cette ville se développa plus ou moins tranquillement, et non sans heurts avec le pouvoir central. Il faut dire que le peuple gascon qu’elle abritait est fort en gueule, et préféra d’ailleurs être parrainé par l’ennemi héréditaire de la nation, les Anglais, qui le traitait mieux. Un lien familial brisé dès l’adolescence, en quelque sorte.

Grâce à son port, Bordeaux prospérait, par des méthodes d’ailleurs plus ou moins recommandables à l’instar de ses voisines Nantes ou La Rochelle. C’est ainsi que la traite négrière, plus de 300 ans après ses débuts, hante encore régulièrement la mémoire collective, faute de travail de conscience peut-être. Les traumatismes enfouis ressurgissent violemment avec le temps s’ils ne sont pas traités.
Les Bordelais ne sont ni meilleurs ni pires que leurs congénères de la race humaine. Mais il faut bien reconnaître que leurs leaders, maire et préfet en tête, n’ont pas brillé par leur comportement humain durant la Seconde Guerre Mondiale. Nouveau traumatisme enfoui : celui qui fut maire de 1925 à 1944, Adrien Marquet, a été balayé prestement de l’histoire.

La deuxième moitié du 20ème siècle est l’histoire d’un endormissement progressif, marqué par le d’abord dynamique puis ronronnant Jacques Chaban-Delmas. La ville devint peu à peu celle qu’on appelle encore parfois « La belle endormie », simplement marquée par des projets déjà anachroniques au moment de leur conception (cf. Mériadeck).

A la fin du 20ème siècle, Bordeaux est comme pestiférée. Les guides touristiques recommandent de l’éviter, le pays regarde la voisine Toulouse, bien plus dynamique, bien plus sympathique. Les Bordelais sont décrits comme d’affreux bourgeois suffisants, et il convient de ne pas les aimer. Ce discours, les Bordelais eux-mêmes l’intériorisent volontiers. Tu es de Bordeaux ? Tu es un affreux bourgeois descendant de négrier, c’est ainsi, fin de la discussion. Peu importe la bêtise abyssale de ce discours, peu importe les nuances, Bordeaux et les Bordelais sont laissés de côté dans leur opulente crasse.

1995, la figure du père protecteur, un peu à l’ouest mais aimant, disparaît. Le Bordelais se confie à une nouvelle figure forte, Alain Juppé, dont le côté autoritaire peu affable des débuts fera que l’idylle n’est pas immédiate. Mais c’est acté : la Belle Endormie va se réveiller, tenons-nous le pour dit.

Suite à quelques pénibles années de soins intensifs et maquillage, la Belle Endormie peut au début des années 2000 enfin montrer un visage affable au monde extérieur. On vient la voir, on la complimente. En retour elle s’ouvre, redécouvre ses propres atouts ; se met même à faire la fête. C’est un petit âge d’or qu’elle vit là.
Mais quand on a passé autant d’année à se mépriser, on a besoin de reconnaissance pour pouvoir s’affirmer. C’est ainsi que le Bordelais passe sans prévenir d’un état d’auto-flagellation permanente, à celui de l’auto-satisfaction béate. Ça fait du bien au début, mais à la longue cela devient un peu ridicule.

Si l’image de la ville change, celle de ses habitants demeure. Le Bordelais reste vécu par le monde extérieur comme une personnalité morose, à l’état d’esprit rétrograde, et tout un chacun se convainc que le vrai réveil bordelais ne se fera que par l’apport de sang neuf, qui permettra de diluer la mentalité bourgeoise reprochée uniformément aux 800 000 habitants de l’agglomération.
Pourtant Bordeaux, débarrassée de sa crasse, perçoit bien ses propres atouts. Pas d’exubérance marquée c’est certain, mais tout de même un certain art de vivre méridional. Une certaine bonhomie dans ses quartiers populaires, un je ne sais quoi de léger dans l’air, faisant qu’on s’y sent bien. Et on ricane du monde extérieur qui ne voit là que bourgeoisie rance.

La suite, on la connaît par cœur. Trop aimée, mal aimée. Bordeaux attire, Bordeaux séduit, mais Bordeaux ment. Bordeaux se présente comme une ville culturelle, en bord de mer, une place forte du travail. Tu mens, Bordeaux. Tu es un gros bourg gascon posé sur un marécage et ton économie est sous perfusion.

Les nouveaux venus sont nombreux, et ils aiment Bordeaux. On y est bien, en bord de mer. Le truc dommage, ce sont ces cons de Bordelais. Ils sont si arrogants, ils n’aiment personne. Heureusement, les voisins eux aussi sont des nouveaux.
Il n’y a que dans Babar ou dans Oui-Oui qu’on vit dans une société parfaitement égalitariste, et ceux que l’on appelle « Les Bordelais » commencent à voler en éclats. Ceux qui peuvent et veulent rester, et ceux qui ne peuvent plus ou ne veulent plus rester. Alors on fait les bagages, direction « la campagne », ou ce qu’il en reste.

Bordeaux vit une nouvelle blessure narcissique. La figure du père, qui était de nouveau incarnée par un Alain Juppé rassurant et fédérateur, s’en va. Chez les plus sensibles on essuie quelques larmes sur le perron de Pey Berland, et on constate l’abandon, le départ vers des cieux plus prometteurs.

Que reste-t-il aujourd’hui de cet endroit auquel tout était promis, ce petit écrin tempéré ? Oh on y vit toujours bien, tant qu’on a les moyens. Ça roule mal, ça sature de tous côtés, l’insécurité augmente, mais c’est la rançon du succès, et il paraît qu’il faut se réjouir de ces problèmes de riches, tant d’endroits rêveraient de vivre la même chose.
Côté ego c’est toujours pas ça. On continue d’exhiber fièrement les classements des tabloïds, mais on n’y croit plus guère. Certains de nos nouveaux concitoyens sont déjà repartis, et les élites que l’on nous promettait pour nous diriger ont suivi le mouvement.

Ce désamour gagnant ses propres rangs, Bordeaux peut le mesurer quotidiennement : maillots d’équipes de sport rivales, style architectural importé, disparition des bars de quartier au profit de lieux standardisés, lissage de son vocabulaire, c’est tout un lien social qui se délite lentement mais sûrement, et ça n’est pas la guéguerre sur la chocolatine qui changera les choses.

« Et il vient d’où cet accent ? », demande-t-on désormais au prolo Bordeluche resté là ? « Bah de Bordeaux té, et le vôtre ?? ». Entre les engins de chantier et les nouveaux restaurants aux menus bourrés d’anglicismes, il est légitime de s’interroger sur ce que devient cette ville.

Bordeaux la bourgeoise, place forte des gilets jaunes. La Gironde, terre de modération, vote à 40% pour les extrêmes aux élections. Les sociologues s’affolent, plus personne n’y comprend rien. Où est passée la figure du Bordelais, ce type arrogant qu’on a tant aimé détester et qui s’est tant lui-même détesté ?

Et si c’était la question centrale des prochaines municipales ? Oui il faut faire des pistes cyclables et planter des arbres, mais ne faudrait-il pas d’abord redéfinir un projet commun ? Cesser de mentir, cesser d’imiter, et enfin s’aimer soi-même.

A Bordeaux le père est parti, une partie de la fratrie a quitté le foyer, l’autre fait la gueule et les nouveaux enfants adoptés sont instables. Bordeaux, tu es si belle et si désirable, mais il te faut une bonne psychothérapie plutôt que des élections.

Bordeaux sur le divan

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3 Commentaires

  1. eric simon

    Un article riche et militant d une amoureuse de Bordeaux soutenu par des arguments historiques sans failles ( saviez vous aussi que ausone dont une rue de Bordeaux porte le nom était bien sur un poète mais surtout un homme politique de première importance puisque il était préfet du prétoire des Gaules ).

    Une description lucide des affres d une grande ville qui se modernise en perdant un peu de son identité mais ce qui m a le plus accroché est la mise en accent de l exode des Bordelais dont les raisons sont si bien expliquées ci-dessus bref un article qui ressemble beaucoup a une plaidoirie teintée d une certaine révolte.

    Une chronique d Isabelle qui sort de l ordinaire et qui ouvre un vaste débat tout simplement sur le devenir d une grande ville.

    Réponse
    • Isabelle Camus

      Yes Eric !

      Comme tu le soulignes, amoureuse de Bordeaux la ville où je suis née et que je vois changer, même si c’est logique et si c’est le lot de toutes les villes.

      Le tout étant de savoir comment, c’est aussi la question que soulève la tribune du Front de Libération Bordeluche face au Parisianisme avec une solution à la clef.

      Réponse
  2. Anny Turmo

    L’article sur Bordeaux, un bijou de drôlerie et de vérités bien dites gentiment.

    Réponse

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